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Carnet de gares
11 août 2010

L’express 1717 Hohhot-Yinchuan

Première expérience des trains chinois. Siège dur, la classe la moins chère, 9h de trajet entre la Mongolie Intérieure et le Ningxia, deux provinces du Nord de la Chine où les touristes occidentaux sont aussi nombreux que les sanitaires propres. Pendant que j’écris cette future note sur mon journal de bord, cinq paires d’yeux bridés au bas mot sont penchés au-dessus de mon épaule ou reluquent avec insistance la reliure rouge de mon carnet comme si un génie allait en sortir ; il y a cinq minutes ils étaient subjugués par le livre sur lequel je m’efforçais de concentrer mon attention.

Depuis le début du voyage, on nous dévisage sans aucune pudeur. Pas un sourire : ni animosité ni intérêt malsain, seulement de la curiosité insistante. Au moindre de nos gestes –acheter un plat de riz et de légumes à la vendeuse ambulante, sortir le guide pour vérifier le nom d’une gare – nous suscitons l’intérêt général. Pas grand-chose à faire pendant le trajet (qui pour ceux qui vont jusqu’à Chengdu va durer plus de vingt-quatre heures), nous sommes le spectacle inattendu et original.

Quelques sièges plus loin, un jeune enfant, huit ans tout au plus (mais les enfants d’ici sont chétifs), joue d’une flûte en forme de courge. Il est tourné dans notre direction et me regarde fixement quand je l’aperçois, d’un air très sérieux. A ma gauche, un téléphone portable déverse une musique chinoise sirupeuse et suraigüe. 9h de trajet. Les coquilles de graines de tournesol et les os de poulet s’agglutinent sur le sol. Nous sommes mal assis, notre dos nous fait souffrir mais je n’ose pas me lever parce qu’une vingtaine de personnes n’a pas la chance – ou les moyens – d’avoir une place assise. A chaque gare, quelques nouvelles têtes, un ballet de gens qui sortent et qui descendent, qui cherchent une place pour poser leur sac de toile crasseux et manquent de me le coller dans la figure. Ceux qui voyagent debout essaient de poser un bout de fesse sur le moindre morceau de banquette en skaï qui dépasse. Le wagon est bondé ; les quelques ventilateurs au plafond et fenêtres ouvertes ne suffisent pas pour évacuer la fumée de cigarette et l’odeur pestilentielle de pieds et de misère de nos voisins.

Au début du trajet, une jeune Chinoise téméraire de vingt-et-un est venue m’aborder, sous les yeux scrutateurs de ses concitoyens. Gogo habite Baotou en Mongolie Intérieure, a des mauvaises notes en anglais mais espère continuer longtemps ses études pour accroître ses chances de trouver du travail, denrée rare dans cette ville de 2,43 millions d’habitants où elle vit. Elle me trouve « very beautiful », comme tous les étrangers dit-elle, surtout quand ils ont les yeux grands ouverts et bleus. Elle me dit que nous sommes courageux de voyager en train et ne cache pas sa surprise que nous n’ayons pas préféré l’option car de touristes.

Après les habituelles questions, d’où venons-nous, où allons-nous, comment nous appelons nous (elle trouve mon nom très compliqué, moi je n’ai pas non plus compris le sien qu’elle prend la peine de m’épeler avant de me donner son nom anglais, Gogo), sommes-nous mariés, elle m’en pose une qui me laisse perplexe : « Pourquoi visitez-vous la Chine ? ». Je réfléchis un moment avant de lui répondre : pour les paysages, la culture, la nourriture. Pour voir le monde. Puis je me tais, mais je pense : pour voir ça, un train bondé et inconfortable, les dizaines de visages hilares qui nous dévisagent, une Gogo qui me parle de son pays avec fierté en disant : « Les trains sont toujours bondés ici ». Et quand je lui dis que quelques Français que je connais étudient sa langue natale : « Nous représentons un cinquième de la population mondiale, c’est normal d’apprendre le chinois ».

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Commentaires
U
After read blog topic's related post now I feel my research is almost completed. happy to see that.Thanks to share this brilliant matter.
N
« Nous représentons un cinquième de la population mondiale, c’est normal d’apprendre le chinois »:<br /> dit comme ça, ça coule de source!
E
Toutes ces expériences diverses me ramènent immanquablement à nos étudiants étrangers qui viennent faire leur MBA à Paris. Entre autre les Chinois. Loin, très loin, sans doute à des années lumière des paysans que tu décris.<br /> Comme pour les Indiens. Une distance aussi grande que de Paris à Beijing ou Mumbai doit les séparer des classes délaissées de leurs pays respectifs. <br /> Cela explique-t-il que le plus grand nombre souhaite rester en Europe une fois le diplôme en poche ?<br /> A part les Japonais qui ne font qu'un passage express avant de retourner chez eux !<br /> Avec ce blog, Yinchuan est à un clic de Gif sur Yvette, c'est fascinant !<br /> Le miracle du village mondial.
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